La voix de l'opposition russe et de la résistance ukrainienne

Non classé

Post de Vitaliy Dudin: Qu’est-ce qui empêche la fin de la guerre en Ukraine ? Deux problèmes principaux

Vitaliy Dudin, leader du Mouvement Social ukrainien (Sotsialnyi Rukh).

Présentation de Robert

Dans ce texte rédigé par le leader du Mouvement Social Ukrainien (Sotsialnyi Rukh) chaque mot résonne en nous, militants internationalistes français, de manière terrible. L’analyse est impitoyable et juste. Le dirigeant Vitaly Dudin cible « le pseudo-pacifisme des forces progressistes occidentales », c’est lui qui aujourd’hui en refusant de soutenir clairement la résistance armée contre le régime fasciste de Poutine, affaiblit l’Ukraine. Certes, le régime de Zélensky, parce qu’il s’inscrit dans un système néo-libérale défendu par les Traités européens, est aussi un frein important pour rejeter l’envahisseur. Le peuple, les travailleurs ukrainiens ont besoin d’un socialisme de guerre, d’une nationalisation des moyens de production centré sur l’industrie de guerre, tout en garantissant au mouvement d’un peuple en armes les droits sociaux et la démocratie, pour construire un avenir sans les oligarques.

Face aux agressions impériales depuis 1914, le mouvement ouvrier s’est par deux fois fracturé sur la question de la guerre. Avant son assassinat le 31 juillet 1914, Jaurès travaillait à un livre intitulé « l’armée nouvelle » qui marquait une rupture avec le pacifisme. En 1915 ces écrits sont publiés une première fois. Léon Trotsky, alors que la IIème Internationale a sombré dans l’Union sacrée, y compris le prétendu courant marxiste de Jules Guesde, relève :

« …Jaurès démontrait que la France ne peut avoir qu’une armée défensive, construite sur la base d’un armement populaire, c’est-à-dire la milice. La République bourgeoise française paie le fait d’avoir contrebalancé, dans son armée, les in fluences démocratiques. Elle a créé, suivant Jaurès, un régime « avorté » où se heurtent et se neutralisent des formes surannées. Le vice fondamental et la faiblesse militaires françaises se trouvent dans cette inadaptation. Au contraire : la barbarie allemande lui donne une puissante supériorité. Certes la bourgeoisie allemande a pu s’élever, de temps en temps, contre la mentalité prétorienne du corps des officiers, la Social-Démocratie a pu dénoncer les cruautés du « drill » qui a conduit à de nombreux suicides dans les casernes, mais le manque de caractère politique et la carence de l’enseignement révolutionnaire chez les travailleurs ont permis les monstrueuses réalisations du militarisme. » (Léon Trotsky, La Guerre et l’Internationale, volume 1 page 78. 1974 Archives et Documents).

Les forces progressistes se fracturent de la même façon après la date fatidique de janvier 1933, lorsque les nazis prennent le pouvoir en Allemagne.

 On se souviendra des larmes de Léon Blum au parc de Luna Park le 6 septembre 1936 lors d’un meeting organisé par la fédération SFIO de la Seine pour tenter de justifier la non-intervention de son gouvernement en faveur de la République ouvrière espagnole, alors que les tueurs de Staline la frappait dans le dos. En fait là-bas commençait la seconde guerre mondiale.

Des dirigeants de premier plan des partis ouvriers PCF et SFIO passent à la réaction. Marcel Déat n’était rien moins que le dauphin pressenti de Léon Blum, alors que le député maire de Saint Denis Jacques Doriot, fondateur du PPF collaborationniste, mourra sous l’uniforme de la Wehrmacht. Le courant pacifiste emportant nombre d’intellectuels connus passera dans le soutien au régime de Pétain, animeront au début de l’occupation l’école d’Uriage où se formaient les cadres de la Révolution Nationale et du corporatisme. L’écrivain Emmanuel Berl écrivait les messages du maréchal.

Aujourd’hui le propos de Vitaly Dudin appuie où cela fait très mal pour nous : la question de l’Ukraine établit une ligne de démarcation, non seulement au sein des partis dits traditionnels de la gauche, mais aussi au sein de ce qu’il est convenu d’appeler la gauche radicale. La version actuelle de « la non-intervention » est donnée « par ceux qui se prétendent révolutionnaires ou radicaux… Pour moi, il est clair que ces rêveurs veulent mener une vie prospère au sein du système capitaliste sans avoir de réelles perspectives de le renverser. » La France compte un palmarès honteux : trois organisations qui se réclament du « trotskysme » (Lutte Ouvrière, Parti des Travailleurs et le POI lambertiste) refusent le soutien à la résistance ukrainienne. Le POI étant devenu aujourd’hui la garde prétorienne du mouvement la France Insoumise. Son leader Jean Luc Mélenchon ne fait pas mystère de son soutien à la Russie de Poutine.  

Le Mouvement Social ukrainien nous lance un appel. Il faut savoir y répondre.

Post de Vitaliy Dudin

Publié le 10 juin 2025

Malgré certaines attentes, la guerre d’agression menée par la Russie contre l’Ukraine se poursuit et s’intensifie. Chaque jour, je vois des images terribles de destructions massives dans ma ville natale de Kyiv, à Kharkiv et dans d’autres belles villes, et qui sont difficiles à imaginer. Des scènes dignes d’un film catastrophe font désormais partie de notre quotidien. Les endroits où nous avions l’habitude de nous promener sont réduits à un tas de cendres et de ruines. Pendant ce temps, les envahisseurs russes lancent de nouvelles attaques, non seulement à l’est et au sud mais aussi au nord, dans la région de Soumy. Ici, en Ukraine, cette guerre a véritablement le caractère d’une guerre populaire en raison de l’ampleur de la participation de la population à l’effort de guerre : plus d’un million de personnes servent dans l’armée, un peu plus sont engagées dans les secteurs critiques des infrastructures et beaucoup d’autres participent à des activités bénévoles.

Les négociations d’Istanbul cachent les plans expansionnistes de Moscou et ont peu de chances d’aboutir.

Même ma vie de civil et de militant pour les droits du travail a radicalement changé. Je reçois des messages de cheminots qui ont besoin d’argent pour acheter des drones et d’autres équipements ; des proches de travailleurs morts lors de frappes de missiles sur leur lieu de travail m’informent des problèmes liés à l’aide sociale ; des infirmières près de la ligne de front se plaignent de ne pas recevoir les primes auxquelles elles ont droit. Nous parvenons parfois à surmonter ces difficultés, mais nous voulons tous que la guerre se termine le plus rapidement possible.

Bien sûr, la résistance héroïque des défenseurs ukrainiens et les opérations spéciales remarquables menées sur le territoire russe ont largement contribué à affaiblir la machine de guerre du Kremlin. Mais après avoir perdu le soutien militaire des États-Unis, les chances de victoire stratégique de l’Ukraine se sont amenuisées.

Les négociations d’Istanbul ont clairement démontré que la position ukrainienne était devenue beaucoup plus flexible et visait une solution pacifique (un cessez-le-feu de 30 jours, par exemple). Au contraire, les exigences russes semblent encore plus offensives et agressives. Grâce à Donald Trump, la Russie a pris l’initiative sur le champ de bataille, ce qui reflète la réalité objective. L’impossibilité de mettre fin à la guerre découle de la faiblesse de la position de l’Ukraine dans les négociations et ne peut pas être surmontée par une mobilisation plus importante.

Alors, quels sont les facteurs qui affaiblissent l’Ukraine ?

Problème n° 1 – Le pseudo-pacifisme des forces progressistes occidentales

Le premier problème est particulièrement douloureux à admettre pour moi. Beaucoup de personnes au sein du mouvement socialiste refusent traditionnellement d’aborder des questions telles que la violence, l’État et la souveraineté. Cela les conduit à une mauvaise compréhension de la situation ukrainienne. Certaines d’entre elles ne reconnaissent pas la nature décoloniale et anti-impérialiste de la lutte ukrainienne. Cette analyse repose sur une vision dépassée du système international, où les États-Unis sont considérés comme le seul impérialiste et la Russie comme sa victime. Même Donald Trump, qui « comprend » chaleureusement le sentiment impérialiste de Poutine, n’a pas changé les conclusions des personnes qui se disent intellectuels de gauche. Les régimes les plus réactionnaires de l’histoire américaine et russe exercent une pression énorme sur l’Ukraine, tandis que certains cherchent des arguments pour expliquer pourquoi la nation attaquée ne mérite pas le soutien international. Je me demande comment les protagonistes de la théorie de la « guerre par procuration » vivent avec le fait que l’Ukraine poursuit son combat sans l’aide directe des États-Unis et malgré leur opposition.

Beaucoup de militants de gauche s’opposent au soutien militaire en raison de leur éthique antimilitariste. Fournir une argumentation philosophique sophistiquée pour ne pas envoyer d’armes à un pays envahi conduit à davantage de souffrances pour des innocents. Le caractère contradictoire de cette affirmation devient particulièrement absurde lorsqu’elle est défendue par ceux qui se prétendent révolutionnaires ou radicaux… Pour moi, il est clair que ces rêveurs veulent mener une vie prospère au sein du système capitaliste sans avoir de réelles perspectives de le renverser. Être contre l’armement, c’est se réconcilier avec le mal de l’esclavage.

Vivre sous la protection de l’OTAN et craindre une « militarisation excessive » de l’Ukraine semble hypocrite.

Et l’inverse : si les travailleurs ukrainiens gagnent la guerre, ils seront suffisamment inspirés pour poursuivre leur lutte émancipatrice pour la justice sociale. Leur énergie renforcera le mouvement ouvrier international. L’expérience de la résistance armée et de l’action collective est une condition préalable essentielle à l’émergence de véritables mouvements sociaux qui remettront en cause le système.

Problème n° 2 : l’incapacité de l’État ukrainien à faire passer l’intérêt public avant les intérêts du marché

Les élites au pouvoir en Ukraine promeuvent le libre marché et le système axé sur le profit comme seul mode d’organisation possible de l’économie. Toute idée de planification étatique ou de nationalisation des entreprises doit être rejetée comme un héritage soviétique. Le problème est que la version ukrainienne du capitalisme est totalement périphérique et incompatible avec la mobilisation des ressources nécessaires à l’effort de guerre.

Le dogmatisme idéologique dominant place l’Ukraine dans le piège de la privatisation économique et d’une grande dépendance à l’aide étrangère.

Nous vivons dans un pays où les hommes d’État sont riches et l’État est pauvre. Le gouvernement tente de réduire sa responsabilité dans la gestion du processus économique et d’éviter d’imposer une taxe progressive élevée aux riches et aux entreprises. Cela conduit à une situation où le fardeau de la guerre est supporté par les citoyens ordinaires qui paient des impôts sur leurs maigres salaires, qui servent dans l’armée et qui perdent leur maison…

Il est impossible d’imaginer un chômage en période de guerre totale. Mais en Ukraine, il existe parallèlement à un niveau extrêmement élevé d’inactivité économique de la population une pénurie incroyable de main-d’œuvre. Ces lacunes s’expliquent par la réticence de l’État à créer des emplois et par l’absence de stratégie visant à impliquer massivement la population dans l’économie par le biais des agences pour l’emploi. Nos politiciens pensent que les déséquilibres historiques sur le marché du travail peuvent être résolus sans intervention active de l’État ! Malheureusement, les réformes de déréglementation mises en place pendant la guerre ont créé de nombreux facteurs dissuasifs qui découragent les Ukrainiens de trouver un emploi salarié. Donc la qualité de l’emploi doit être améliorée par une augmentation des salaires, des inspections du travail rigoureuses et un large espace pour la démocratie sur le lieu de travail.

Seule une politique socialiste démocratique peut ouvrir la voie à un avenir durable pour l’Ukraine, où toutes les forces productives travailleront pour la défense nationale et une protection socialement juste.

Nous devons maintenant aller droit au but. Sans un soutien militaire et humanitaire complet, l’Ukraine ne sera pas en mesure de protéger sa démocratie et sa défaite aura des répercussions sur le niveau des libertés politiques dans le monde entier. Mais d’autre part, nous devons critiquer les responsables gouvernementaux ukrainiens et leur incapacité à mettre fin au consensus néolibéral qui sape l’effort de guerre. Il est particulièrement difficile de gagner une guerre contre un envahisseur étranger alors que le pays est confronté à de nombreux problèmes internes, liés à une économie capitaliste dysfonctionnelle.

Texte publié par le Réseau Bastille: